La durabilité n’est plus l’affaire que d’une seule direction, et le croire encore serait fermer les yeux sur des décennies d’expérimentation et de réglementations. Pour devenir stratégique et effective, elle doit infuser tous les métiers de l’entreprise. Au moment où de plus en plus d’individus sont à la recherche de sens dans leur engagement professionnel, les entreprises ont une opportunité : la saisiront-elles ?
2025 est une année ambivalente pour les enjeux RSE et de durabilité. D’un côté, l’éco-anxiété (ADEME, 2025) progresse à mesure que les catastrophes environnementales se rapprochent de notre quotidien. De l’autre, les signaux politiques semblent contradictoires : reports ou reculs de réglementations en France (ZFE) et en Europe (CSRD), poussées climato-sceptiques à l’international. Dans ce contexte, un nombre croissant de professionnels aspirent à travailler pour une économie plus responsable. Selon une étude CSA pour LinkedIn et l’ADEME, 78 % des salariés choisiraient, à offres équivalentes, une entreprise engagée pour la transition écologique.
Mais face à ce désir de sens, le marché du travail reste complexe : l’expérience opérationnelle reste déterminante et les compétences recherchées sont exigeantes. Un paysage qui ne facilite pas les démarches de reconversion. La plupart des entreprises cherchent encore le mouton à cinq pattes pour les fonctions directement en charge de la durabilité, au risque de rester dans l’immobilisme.
Et si nous cessions de penser la RSE comme une fonction isolée ? Et si, au lieu de chercher à « faire carrière en RSE », nous faisions plutôt de la RSE une compétence transversale intégrée à chaque métier (R&D, finance, marketing…) ? Nous avons une conviction : pas de grande transformation sans ancrage au cœur de l’entreprise !
Durabilité doit rimer avec désirabilité, un levier business à activer
Trop souvent, la durabilité est encore perçue comme une contrainte : un coût supplémentaire, un ralentisseur de performance, une réponse aux injonctions réglementaires. Une lecture que l’on pourrait penser dépassée, mais que l’on retrouve chez de nombreux dirigeants et décideurs politiques.
Dans un contexte économique difficile, parler de décarbonation ou d’économie circulaire à un directeur de Business Unit ou un patron d’ETI peut susciter méfiance ou désintérêt. Mais parler d’économies d’énergie, de fiabilisation de la chaîne d’approvisionnements, de création de nouveaux marchés pour les produits reconditionnés ou éco-conçus, c’est parler de performance. Et là, nous avons votre attention.
Il s’agirait de cesser d’agiter des épouvantails, d’abandonner ses œillères et de changer de paradigme, car par « durabilité » on entend la stratégie qui vous fera durer !
C’est aussi cela, l’esprit du Green Deal européen : intégrer les enjeux de durabilité dans la stratégie et les opérations des entreprises, et non les traiter à part. Cela suppose des experts capables de structurer une stratégie RSE, mais aussi des professionnels des métiers qui maîtrisent leur cœur d’activité. La transformation durable a besoin des deux.
Les Richesses Humaines au cœur de la transformation durable
Le rôle des responsables RSE et des Chief Sustainability Officers (CSO) reste central. Mais leurs marges de manœuvre sont souvent limitées : tsunami réglementaire, injonctions contradictoires, manque de moyens humains, absence de relais internes. Ils ne peuvent pas tout faire seuls, et les grandes ambitions laissent souvent place à la frustration et au sentiment d’isolement.
Le bon équilibre ? Une équipe RSE resserrée et stratégique, dédiée à la définition de l’ambition et à sa mise en récit, à la coordination des actions et au pilotage des résultats, à l’expertise et à la veille (innovation, réglementation, écosystème). Et autour, des « équipes alliées », dans chaque fonction, capables de mener le changement de manière opérationnelle, comptables des résultats obtenus dans leur domaine.
Dans les grands groupes, la durabilité fait partie du jeu : création de comités RSE au sein des CA, présence au COMEX et CSO avec une équipe parfois étoffée. Dans les ETI, les moyens sont plus contraints, et encore trop peu disposent d’un administrateur dédié aux enjeux ESG.
Côté fonds d’investissement, la donne évolue aussi. Les Operating Partners en charge des enjeux ESG deviennent des leviers de gouvernance clés. La valorisation d’une entreprise ne se calcule plus sans intégrer les critères de durabilité, tant en termes de risques que de création de valeur à long terme. Les « Deal teams » se sont appropriées les enjeux de durabilité. Elles accompagnent les sociétés en portefeuille vers une maturité RSE, au même titre que d’autres leviers de croissance.
R&D, Opérations, Sales & marketing, Achats, Finance, IT, Juridique… chaque métier a un rôle à jouer
Cette dynamique d’intégration doit devenir un projet d’entreprise partagé. Certaines entreprises ont déjà franchi le pas. Danone a des Sustainability managers au sein de l’équipe Research, L’Oréal a un « Sustainability Finance Director »; Thales, des « Sustainability Product Managers » ; et les grands groupes ont désormais tous un « Directeur des Achats Responsables ». Ces rôles hybrides montrent la voie : ils incarnent une transformation par les métiers, pour les métiers.
Faisons un tour d’horizon de quelques fonctions où l’intégration de la durabilité est déjà l’œuvre :
- La R&D et le Développement Produit : matériaux plus légers dans l’aéronautique, produits plus sains dans l’agro-alimentaire, équipements plus réparables, logiciels moins gourmands en énergie et plus accessibles … les pratiques d’éco-conception et d’analyse de cycle de vie se déploient plus largement quelle que soit l’industrie.
- La Production : efficacité énergétique des sites et des machines, réduction des pollutions et des déchets, réduction des risques santé et sécurité … les équipes en charge de la production permettent d’atteindre un double impact positif, économique et durable. Les fonctions QHSE existent depuis longtemps ; il s’agit de créer une articulation efficace avec les équipes RSE / Sustainability, vers une ambition commune.
- Les RH : garants de la marque employeur, des parcours professionnels, de la QVCT, l’adaptation des fiches de poste, la refonte des indicateurs de performance, la reconnaissance des compétences durables dans les parcours professionnels. Leur rôle est clé pour penser et adapter les métiers à un monde à +3°C. Le récent décret sur les risques liés à la chaleur au travail en témoigne.
- La Finance : décisions d’investissement, modèles de valorisation ou mécanismes de bonus. La stratégie financière doit désormais intégrer l’ESG. Rompue aux exercices de reporting et de pilotage de la performance, la fonction Finance étend son périmètre aux indicateurs extra-financiers.
- Les équipes IT : Green IT et IT for Green. Les choix technologiques sont aussi porteurs d’opportunités et d’impact ESG. L’IT doit mettre au service de la RSE et des métiers les instruments (data, fonctionnalités) de la transformation durable, par exemple dans le cadre de refonte des systèmes ERP.
- Les juristes : en devenant de véritables partenaires des directions, aident à décrypter les évolutions réglementaires et à anticiper les risques.
C’est cette hybridation des métiers qui rend la transformation durable possible, concrète et mesurable. Encore faut-il la penser, l’organiser, l’encourager. Il reste à déployer les formations spécifiques à chaque métier (au-delà de l’acculturation), à intégrer des objectifs mesurables dans les fiches de poste, à évaluer la performance individuelle à l’aune de ces nouveaux objectifs. L’impulsion du dirigeant et du COMEX reste déterminante pour incarner la volonté d’intégrer la durabilité dans le Business de l’entreprise.
Et si vous aviez plus de leviers que vous ne le pensez ?
Chaque entreprise a déjà les ressources en interne pour accélérer sa transformation durable. Osez sortir de votre périmètre métier, osez voir la durabilité comme une compétence en plus, porteuse de sens et d’impact.
Comme le rappelle l’ADEME, il est temps de transformer l’énergie négative de l’éco-anxiété en énergie positive de l’éco-engagement.
La durabilité ne doit plus être cantonnée à une fonction. Elle doit devenir une culture d’entreprise, vers plus de résilience, de robustesse, de pérennité économique.
Catherine Brennan – Directrice Générale de Birdeo Recrutement
Catherine Brennan est diplômée en droit public et en droit de l’environnement de l’Université Paris-Sorbonne. Après 20 ans dans l’industrie informatique à piloter des stratégies clients et e-business pour des entreprises américaines en Europe, elle rejoint Birdeo en 2019 en tant que consultante en recrutement en RSE et Métiers à Impact Positif. Elle y occupe depuis 2024 le poste de Directrice Générale du groupe.
Carole Davies-Filleur – Directrice Générale d’Archery Sustainability
Carole Davies-Filleur est ingénieure spécialisée en eau et environnement, avec plus de 25 ans d’expérience dans le conseil. Elle a piloté de nombreux programmes stratégiques pour de grands groupes industriels en Europe : transformation numérique, refonte de processus, transformation durable. En tant que Directrice Générale d’Archery Sustainability, elle accompagne aujourd’hui les entreprises pour adresser leurs enjeux de durabilité.